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Point de vue de praticiens : Une réponse aux enjeux grandissants de reporting et de pilotage de la RSE

Quels référentiels données et solution(s) pour produire vos indicateurs RSE, votre futur rapport CSRD et surtout piloter votre trajectoire net zéro ?

L’objet de ce point de vue est de proposer :

Nous centrerons nos propos sur les enjeux environnementaux de la RSE. Les exigences de reporting sur les thèmes “Social” et “Gouvernance”, autres piliers de la RSE, ne sont pas couverts par ce document.

Les entreprises européennes font face à des exigences réglementaires de plus en plus étoffées et strictes, et à un impératif écologique et économique de réduction de leur impact environnemental et de leurs coûts énergétiques.

En quelques lignes, la taxonomie environnementale européenne ou « taxonomie verte », a pour objectif de quantifier les activités des entreprises ayant un impact positif ou négatif sur les 6 objectifs environnementaux définis par la Commission Européenne. Les 2 « principaux » étant l’impact des activités de l’entreprise sur l’atténuation du changement climatique et l’adaptation au changement climatique. Dès l’exercice 2021, les entreprises devant appliquer la DPEF (Déclaration de performance extra financière) devaient ventiler 3 indicateurs : chiffre d’affaires, Capex, Opex entre les activités éligibles et non éligibles et produire des explications et commentaires en lien avec ces données. L’application de la taxonomie européenne répond à des règles très précises et le périmètre des informations à produire progresse chaque année de même que les entreprises éligibles à ces déclarations.

La directive dite “Corporate Sustainability Reporting Directive“ (CSRD) adoptée par le Parlement Européen ce 10/11/2022 s’appliquera dans l’Union Européenne à compter de l’exercice 2024 si l’entreprise atteint a minima 2 seuils sur 3 : CA ≥ 40 millions €, total bilan ≥ 20 millions €, salariés ≥ 250. Elle imposera un très important catalogue d’indicateurs aux définitions normées à reporter et un engagement sur une trajectoire de progrès que les entreprises devront communiquer.

Surtout, au-delà du contexte réglementaire, les entreprises sont de plus en plus incitées voire contraintes de mener :

  • D’une part, des actions d’économies sur les ressources (consommation d’eau, d’énergies, de carburants…),
  • D’autre part, des actions de réduction des rejets ou de recyclage (déchets, eaux usées, gaz à effet de serre…).

La gestion des risques d’approvisionnement et de dépendance (énergies, matières premières et ressources naturelles, biodiversité) est un enjeu majeur des entreprises de même que la maîtrise de leurs factures et volumes d’approvisionnement énergétique.

L’adaptation du système d’information et du modèle de pilotage est la clé pour identifier, mesurer, cibler et suivre les actions.

Par exemple, Nexans a d’ores-et-déjà développé son concept et outil E3, E pour “Economie, Ecologie et Engagement”, servant à définir les priorités stratégiques et choix d’investissements.

Comment faire évoluer son référentiel de données et son architecture IT pour (i) collecter et reporter ses indicateurs RSE et (ii) piloter ses actions de réduction de consommations et de dépenses ?


1. Quel référentiel de données cible et comment gérer ce référentiel ?

Le référentiel de données doit servir plusieurs objectifs :

  • Reporter
  • Décider et piloter
  • Agir

Il est exploité à la fois par les Directions opérationnelles, la Direction financière, la Direction de la Sustainability-Développement durable et la Direction de la Compliance et des Risques.

L’entreprise et ses filiales doivent collecter des données hétérogènes dispersées dans l’organisation à partir de plusieurs milliers de capteurs, puis transmettre des informations exprimées par exemple en m3 de gaz, d’eau chaude, de vapeur, en KW d’électricité ou encore en tonnes de déchets… L’enjeu est l’agrégation et la qualité des données (exhaustivité, complétude, absence de redondance, recoupement, contrôles de cohérence et d’exactitude). Enfin, il convient d’automatiser au maximum la collecte de ces données et de les convertir en « équivalent impact environnement (ex : CO2, eau, azote…) » à travers des règles de calculs complexes (facteurs d’émissions). L’entreprise peut s’appuyer par exemple sur des capteurs présents dans des « building management systems » (système de gestion des bâtiments) pour collecter une partie des données. Les quantités d’énergies ou déchets récoltés doivent être rapprochés des surfaces, volumes, effectifs des équipes et bâtiments et bien sûr des factures (coûts énergies ou de traitements de déchets) pour calculer des indicateurs, responsabiliser et permettre de prendre des décisions. Il faut noter la nécessité pour un groupe de gérer les variations de périmètres juridique et économique et de prendre en compte les pourcentages de détention par filiale pour produire des données fiables, auditables et à périmètre constant.

Des indicateurs ont besoin d’être regroupés ou combinés pour obtenir une vision synthétique, ou encore pour être traduits économiquement ou liés à des indicateurs financiers.

Nous avons annexé à ce document une représentation de l’ensemble des facteurs d’émissions que l’entreprise doit collecter : périmètres 1, 2 et 3.

En termes d’analyse, les indicateurs devront être agrégés selon plusieurs axes, en fonction des besoins : selon un axe juridique (entités légales) ou géographique à des fins de reporting, selon un axe opérationnel (par site, par activité, par fournisseur, par client,…) pour comparaisons, benchmarks et arbitrages, selon un axe de responsabilité managériale (périmètres de responsabilités) pour la mise en œuvre et le suivi des actions d’amélioration.

Pour répondre aux différents objectifs et usages, le référentiel complet (liste des indicateurs et axes d’analyse) devra être exploité de manière transverse et être répliqué dans plusieurs outils.

Le référentiel ne sera pas nécessairement identique et aussi profond dans chaque outil mais la cohérence devra être assurée au moyen d’une administration et maintenance inter-outils.

C’est aussi la condition pour permettre de conserver la traçabilité, la cohérence et l’exactitude des données.

Un outil dit de “Carbon Management Software” tel que IBM Envizi contient par défaut plusieurs axes ou “dimensions”. Dans la solution IBM Envizi, les dimensions sont les suivantes :

  • Groupes et sous-groupes pour constituer des périmètres géographiques, économiques, juridiques (prenant en compte les pourcentages de détention).
  • Sites ou localisations (physique ou logique dans le cas d’émissions liées aux déplacements d’une équipe par exemple),
  • Plan de comptes (pour les indicateurs en valeur monétaire),
  • “Meters” ou“compteurs” (pour les indicateurs en unités physiques),


2. Quelle architecture SI pour un pilotage RSE et quels critères de choix ?

Le SI de pilotage RSE doit, tout comme le référentiel de données, remplir plusieurs objectifs. Il doit en cible apporter les fonctionnalités suivantes :

  • Collecte de données, traitements, reporting et publication,
  • Aide à la décision, prévision, simulations et pilotage,
  • Mesures, calculs et suivi opérationnel des actions d’amélioration.

Au vu du marché naissant, il n’y a pas de solution unique permettant de couvrir l’ensemble des fonctionnalités évoquées précédemment et ce en raison de la complexité des fonctions ou des règles nécessaires.

Le SI cible doit donc prévoir plusieurs outils, interfacés entre eux, avec a minima :

  • La capacité à recueillir les données à intervalle régulier, centraliser et contrôler les données brutes (en milliers, dizaines de milliers dans le cadre de Groupes), appliquer des règles de calcul, et/ou facteurs de correspondance pour obtenir des indicateurs par site, périmètres…Ces données vont permettre d’identifier des leviers d’amélioration et piloter opérationnellement les actions au moyen de dashboards. C’est le rôle attendu d’un outil CMS “Carbon Management Software”.
  • La capacité à établir une photo de l’existant et à construire de manière collaborative des scénarios prévisionnels en fonction de multiples hypothèses, jusqu’à retenir la trajectoire cible. C’est le rôle attendu d’un outil EPM “Enterprise Performance Management”. Ces outils, tels que IBM Planning Analytics, aujourd’hui majoritairement utilisés pour la planification financière, commencent à être exploités également pour une projection de l’ensemble des indicateurs RSE.
  • La capacité à agréger les données au bon niveau et avec les règles adéquates, mettre en forme les reportings normés (taxonomie européenne, rapport de gestion, CSRD,…). C’est le rôle d’un outil de “Disclosure Management”, en général complété par un outil de consolidation (cas des Groupes devant consolider leurs filiales).

Des règles d’interface et des moyens de contrôle robustes doivent permettre d’assurer l’auditabilité des données et des reportings publiés.

De manière simplifiée, le paysage applicatif pour assurer un pilotage RSE, répondant aux exigences réglementaires et aux impératifs de bonne gestion (sociale, environnementale et économique), pourrait être le suivant :

Schéma SI cible pilotage RSE
  • CMS = Carbon Management Software (outil métier de pilotage RSE ou durabilité)
  • EPM = Enterprise Performance Management
  • BMS = Building Management Systems
  • CRM = Customer Relationship Management
  • SIRH = Système d’information Ressources Humaines

Les facteurs à prendre en compte pour la conception de l’architecture SI cible, incluant le choix des solutions, sont les suivants :

conception architecture SI RSE


3. Quelle organisation projet pour mettre en place l’architecture SI ?

Un tel projet – à la fois stratégique et réglementaire – implique les Directions listées en début de ce point de vue. Le sponsorship de la Direction est aussi indispensable tout au long du projet, s’agissant d’un projet de transformation transverse et à fort enjeux pour l’entreprise ; chez Nexans, c’est le Directeur Général qui assure le sponsorship.

Une phase préalable d’alignement sur les objectifs et sur la couverture fonctionnelle du SI nous semble donc impérative.

Sur la base des premières analyses opérationnelles, l’entreprise doit évaluer le potentiel d’économies énergétiques et financières.

Un recensement des rapports externes et internes attendus est également un pré-requis. Pour mémoire, le CSRD est constitué de normes européennes de durabilité obligatoires (ESRS) produites par l’EFRAG. Celles-ci devraient être publiées en décembre 2022 pour une adoption par la Commission Européenne au 1er semestre 2023.

Il conviendra ensuite d’étudier une cible SI (cf. partie 2), et au-delà, de définir plusieurs échéances (gains à court terme, étape intermédiaire, cible) pour permettre une mise en action au plus vite.

La cible pourrait correspondre à la date de mise en application de la directive CSRD (exercice 2024).

Le projet vers le SI cible pourrait être découpé en plusieurs chantiers (référentiel de données, nomenclature et normes de calculs, mise en œuvre d’une nouvelle solution, construction des interfaces, mise en qualité des données sources,…), en conservant une vision globale par pilotage de ces chantiers au sein d’un même projet ou programme.

La finalité étant la publication de données et le pilotage d’une trajectoire de progrès, la Direction financière Groupe sera un des moteurs de ce projet, d’autres Directions étant particulièrement impliquées comme la Direction du développement durable, la Direction des ressources humaines et la Direction des risques.

La Direction financière sera au centre du projet car elle dispose d’une expérience et maîtrise dans :

  • La communication financière externe,
  • L’audit des données financières, (or, le rapport CSRD sera revu, audité),
  • La remontée de données des entités locales avec des exigences de délai, de qualité et de traçabilité,
  • La gestion de référentiels transverses (plans de comptes, centres de coûts, entités juridiques et économiques,…),
  • Le pilotage de plans à moyen-long terme,
  • La gestion des risques en lien avec la Direction des risques.

Les Directions opérationnelles chargées d’identifier les économies potentielles et de mettre en œuvre les actions devront être impliquées dans le choix et le paramétrage des solutions qu’elles utiliseront au quotidien. Une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre, des consommations d’énergies et d’eau, de rejets de déchets… est indispensable. Ce plan est à décliner par site, entité, périmètre juridique et économique.

Les départements financiers des filiales ou pays viendront en appui des directions opérationnelles et assureront le relais avec la Direction financière Groupe.

Conclusion

Plusieurs directeurs financiers estiment que le reporting RSE et le pilotage des actions durabilité pourrait bientôt occuper 25% du temps de leur équipe. Ce reporting présentera une charge de travail supplémentaire nécessitant vraisemblablement une nouvelle organisation.

Comment les entreprises doivent-elles s’organiser ? Elles ont besoin d’être équipés pour ces travaux complexes et étendus.

La Direction financière doit faire le lien avec le reporting financier et intégrer le pilotage RSE dans une démarche globale de pilotage des performances de l’entreprise.

Par ailleurs, l’identification et la maîtrise des facteurs de risques du fait du changement climatique ou de l’adaptation de l’activité aux objectifs de RSE nécessitent des prises de décisions Groupe, chaque Direction étant porteuse d’une partie de la solution.

Beaucoup d’entreprises ont déjà initié des réflexions sur les solutions disponibles sur le marché et réfléchissent à leur paysage applicatif cible.

Nous sommes en mesure de vous aider pour accélérer votre réflexion sur ces sujets.

L’objet de ce point de vue était de proposer une architecture fonctionnelle IT en réponse aux enjeux RSE d’aujourd’hui et de demain.

Un prochain « point de vue » viendra approfondir le périmètre respectif des solutions “Carbon Management Software” vs “Enterprise Performance Management” vs “Disclosure Management” en termes de fonctions attendues, de typologies de décisions des parties prenantes et de familles de données disponibles.

Jérôme Beck

Jérôme Beck
IA – Data platform, Sustainability IBM
jerome.beck@fr.ibm.com

Christophe Maupu

Christophe Maupu
Associé CLARIFI
christophe@clarifi.consulting

Novembre 2022


Pour aller plus loin :

  • Illustration des 3 périmètres (scopes 1, 2 et 3) des émissions de gaz pour calculer l’ensemble des émissions sous la responsabilité de l’entreprise :
Calcul des émissions de gaz