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Comment mettre en place une gestion des couvertures de risque de change ?

Dans une société internationale ayant des activités et filiales dans plusieurs pays en opérant dans des devises différentes, l’exposition au risque de change peut être très significative et dans certains cas mettre en péril la rentabilité de l’entreprise. Nous allons ici vous donner quelques clés pour mettre en place une gestion efficace de couverture de cette exposition afin de sécuriser le compte de résultat de votre entreprise.

Toute société est exposée à un risque de change dès lors, pour simplifier, qu’elle achète ou vend dans au moins une devise de facturation qui n’est pas la même que la devise dans laquelle elle tient sa comptabilité.

L’exposition au risque de change global, à l’échelle d’un groupe, est la consolidation des risques de change issus de ses différentes filiales.

Il faut distinguer le risque de change local dans les filiales du risque centralisé via des flux intercompany en devises qui peuvent être gérés et couverts par le siège.

Dans les faits aujourd’hui, ce sont majoritairement le siège et les centrales de trésorerie groupe qui consolident, assument et gèrent le risque de change de leur groupe, pour le compte de l’ensemble des filiales ; en effet, ils bénéficient de l’expertise et des volumes nécessaires afin de mener une gestion optimale de leurs risques de change.

L’élément central de la problématique de la gestion du risque de change est de définir et encadrer une politique de change au niveau de l’entreprise.

Le schéma ci-dessous présente un cycle classique de gestion du risque de change pouvant servir à définir et encadrer une politique structurée de gestion du change.

En pratique, la durée de ce cycle est généralement de 12 mois : la politique de gestion des risques est redéfinie au moment de la construction budgétaire, pour l’année N+1. L’horizon de couverture des risques de change est alors prolongé d’un an, jusqu’au terme de l’exercice N+1.

Nous traiterons dans cet article les différentes étapes du cycle présenté ci-dessus :

1. Définition et évaluation des expositions au risque de change (sous-étape 1)

2. Élaboration des stratégies de couverture (sous-étapes 2.1 et 2.2)

3. Mise en place des couvertures et gestion opérationnelle du risque (sous-étapes 3.1 et 3.2)

Définition et évaluation des expositions au risque de change

Typologie d’expositions

Une société peut se trouver confrontée à différents types d’expositions au risque de change, les principales sont les suivantes :

  • Exposition liée à l’activité commerciale (économique et transactionnelle), issue d’achats et ventes en devises différentes de sa devise de comptabilité
  • Exposition bilantielle due à l’enregistrement comptable d’actifs et passifs acquis dans d’autres devises
  • Exposition liée à des prises de participations et à la réception de dividendes exprimés dans des devises étrangères
  • Exposition liée à des opérations de financement dans des devises tiers

Nous nous focaliserons dans cet article sur l’exposition au risque de change commercial qui est souvent le plus significatif dans les entreprises.

Evaluation des expositions

A l’échelle d’un groupe, les niveaux d’exposition au risque de change de ses différentes filiales ne s’agrègent pas mais se consolident, avec de potentielles neutralisations partielles entre deux expositions croisées (exemple : une exposition en USD pour une filiale EUR, compensée par une exposition en EUR pour une filiale USD).

Pour mesurer son niveau d’exposition consolidé, un groupe doit recenser les flux de facturation prévisionnels de chacune de ses filiales dans ses différentes devises étrangères, y compris les flux intercompany

Dans le cadre de la construction budgétaire annuelle, cela revient à construire un « Budget de change » par devise et typologie d’expositions (commerciale, bilantielle, dividende,…).

Evaluation des risques globaux

En travaillant sur différentes versions successives de son « Budget de change », un groupe cherchera à « netter » les positions par type d’exposition et pourra in fine chiffrer les risques financiers et leur impact P&L en fonction de ses projections d’évolution des taux de change entre devises. Le groupe aura alors une vision consolidée complète de son risque de change.

L’exemple ci-dessous illustre, pour un couple de devises, comment les ventes et achats sont « nettés » au niveau de 3 filiales, puis, après consolidation de ces 3 filiales, au niveau du groupe.

Netting flux en devises

Pour ne pas sous-estimer le risque de change consolidé, la trésorerie groupe doit vérifier l’alignement des dates de facturation entre les filiales qu’elle consolide afin de pouvoir connaître ses expositions par « maturité ». L’objectif est de connaître les expositions à un niveau trimestriel voire mensuel. Un travail fin de « netting » va permettre de déterminer les expositions calendaires à couvrir sur l’année N+1.

En pratique, deux types d’exposition sont présentes en fonction de l’organisation de la société et de ses flux de facturation :

– Des expositions centralisées en devise par le biais des facturations commerciales intercompany entre la maison mère et ses filiales de manière à centraliser les risques en devises à couvrir au niveau d’une entité pivot.

– Des expositions locales en filiale (à l’achat ou à la vente) à couvrir au niveau de l’entité concernée avec souvent les conseils de la trésorerie ou finance groupe.

Élaboration des stratégies de couverture

Définition des horizons de couverture

Dans un premier temps, le groupe doit définir quel est son horizon de couverture globalement pour ses expositions au risque de change ; cette question est fondamentale et constitue l’un des socles de la politique de couverture.

L’horizon de couverture est en pratique rarement au-delà de la fin d’exercice N+1 pour une typologie d’exposition commerciale, sauf dans les secteurs d’activité disposant de contrats à forte visibilité pour lesquels l’entreprise souhaite sécuriser et garantir sa rentabilité à la naissance du projet contractualisé (aéronautique, industrie lourde, infrastructures / BTP,…).

En effet, couvrir des risques à plus d’un an pour lesquels par nature le sous-jacent (l’activité commerciale) peut significativement évoluer à la baisse ou à la hausse peut se révéler très hasardeux avec deux effets particulièrement préjudiciables :

– Figer les cours de change défavorablement (si le cours évolue dans le mauvais sens par rapport au cours de couverture) pour plusieurs années et mettre en péril la rentabilité de son entreprise

– Se retrouver en position de sur-couverture si l’exposition de change et l’activité baissent et de devoir déboucler ses positions en réalisant des pertes

De même que l’horizon maximum de couverture, la répartition des couvertures par maturité d’exposition doit aussi être définie. Les futures couvertures de change devant être idéalement placées en face des expositions en devises trimestrielles voir mensuelles (évaluées dans la partie précédente). Le but étant d’éviter des décalages entre le contrat de change et le flux réel en devise qui doivent être gérés au moyen de swap de change ce qui génère des coûts de trésorerie additionnels.

Il est important de rappeler à ce stade que tout décision de couverture est en soi une prise de risque car on fige un taux de change à un horizon donné sur un flux en devise, MAIS le but intrinsèque d’une politique saine de gestion du change est de sécuriser et garantir des cours de change dans un horizon donné pour des flux avec des variations maitrisées.

Formalisation des convictions et anticipations marché

Une fois l’horizon de couverture et les expositions par devise définis, la mise en place des couvertures de change peut commencer.

En pratique, le début des premières couvertures de change commence souvent légèrement en amont du processus budgétaire pour l’année suivante sur la base des flux de l’année en cours.

C’est à ce moment que la direction financière et la trésorerie vont réfléchir et mettre en place leurs stratégies de couverture pour l’année N+1 en se basant sur leurs anticipations de marché et leurs convictions sur l’évolution future des principales devises à risque.

Il est important de préciser que la mise en place des stratégies de change sur la base d’anticipation ne doit pas occulter le fait que l’objectif premier est de sécuriser ses marges et donc de couvrir les risques de tout aléa lié aux variations de change et NON de spéculer sur la base d’anticipation.

Le front office de la trésorerie pourra s’appuyer sur les banques et les perspectives et études économiques spécialisées d’analyse fondamentale pour affermir ses convictions et expliquer ses anticipations de marchés auprès de la direction générale et justifier ainsi ses stratégies de couvertures.

Définition des modalités de couverture

L’élaboration de ses stratégies de couverture va dépendre de trois sujets clés qui vont contribuer à définir les modalités des couvertures à mettre en place :

  • Quels instruments de couverture sélectionner ?

On distingue les contrats à terme (forward), les options et les swaps de devises.

Les contrats à terme permettent d’acheter ou de vendre une devise contre une autre à un cours fixe (dépendant du cours actuel et du différentiel de taux d’intérêt des devises à l’échéance) et à une date fixe définis à la signature de la transaction. Cet instrument sera privilégié lorsque le cours actuel est jugé satisfaisant et que l’on souhaite le garantir pour le futur.

Les options permettront à une date future ou sur une période future définie dès aujourd’hui d’activer ou non le droit d’acheter ou de vendre une devise, à un cours garanti au moment de l’achat de l’option. Ce droit d’exécuter ou non l’option d’achat ou de vente a un coût (la prime de l’option), qui peut s’avérer assez important si l’horizon de couverture est lointain et si la volatilité du cours de change est importante. Cet instrument sera utilisé pour se donner de la flexibilité pour optimiser le cours de couverture par rapport à l’instant T tout en étant couvert au cours garanti par l’option.

Les swaps de devises permettent d’échanger avec une banque un montant déterminé d’une devise contre une autre jusqu’à une échéance donnée. Cela revient à prêter ou emprunter une devise contre une autre durant une période donnée. Cet instrument permet notamment de « roller » les couvertures et flux en devises pour pouvoir les mettre en face et sert donc à gérer les décalages de timing entre couvertures et flux réels.

  • Quel pourcentage d’exposition à couvrir et quel « timing » de couverture ?

Le groupe détermine le pourcentage d’exposition ou le montant qu’il souhaite couvrir, pour chacune des devises à couvrir (exemple : 80% des 3000 USD dans l’exemple chiffré ci-dessus, soit 2400 USD).

Le choix du « timing » de couverture correspond à la décision sur la date à partir de laquelle le groupe souhaite être couvert, sachant que le niveau de couverture peut être variable, notamment dans le sens d’une évolution à la hausse (exemple : 50% des 3000 USD sont couverts à partir du 1er janvier N+1 puis 80% des 3000 USD sont couverts du 1er septembre au 31 décembre N+1).

La question du timing est clé dans une stratégie de couverture et va dépendre des convictions du trésorier et de la politique de gestion de l’entreprise.

Généralement, au début de la période de couverture pour l’année suivante, la trésorerie commencera à couvrir une part significative des expositions (50%) pour se garantir des cours pour l’année N+1 pour ensuite optimiser au fil des mois suivants les 50% restant en fonction des évolutions des cours.

Au début de l’année N+1, la direction financière doit être en mesure de pouvoir garantir les cours de change pour l’activité de sa société pour toute l’année.

  • Quels partenaires bancaires ?

Le choix des banques pour réaliser les opérations de change dépendra du pool de partenaires bancaires de la société. Ce seront en pratique les banques avec lesquels la société travaille pour son activité transactionnelle et pour ses financements.

Le trésorier front office, qui réalise les couvertures de change pour sa société, choisit la banque pour chaque opération en comparant à l’instant T les prix (cours de change, points de swap, prime optionnelle) de deux ou trois banques partenaires afin de sélectionner le prix optimum proposé.

Fixation des cours budget pour l’année N+1

L’objectif des couvertures de change est de pouvoir garantir un cours de change par devise au niveau groupe pour une échéance donnée : les cours dit « budget ».

Ces cours sont communiqués par la trésorerie généralement en amont du processus budgétaire; ces taux de change sont à prendre en compte par les filiales pour leur élaboration budgétaire de leurs flux en devise.

Ces cours de change sont normalement le reflet des couvertures de change réalisées à ce stade (qui ne sont pas encore établies à 100%) et peuvent être soumis à une révision en cas de variation rapide ou d’ajustements de couverture réalisés.

Ces taux constituent pour la filiale et les BU à la fois :

– Des hypothèses budgétaires nécessaires pour établir leur budget en devise locale,

– Et des règles de conversion vers leur devise de comptabilité qu’elle appliquera dans ses comptes pour l’année N+1 si le groupe a opté pour une comptabilité de couverture (process à valider par les commissaires aux comptes et qui doit être documenté).

Mise en place des couvertures et gestion opérationnelle du risque

Mise en place effective des couvertures

Une fois le cadre posé et les stratégies de change validées en interne, l’exécution des stratégies de couverture est réalisée par l’équipe front office en relation avec les partenaires bancaires pour le passage des ordres, l’équipe back office pour la confirmation et le contrôle des transactions.

Une attention particulière sera portée aux échéances de contrats mis en place afin de se rapprocher des dates estimées des flux en devises.

Tout contrat de couverture de change doit être signé et validé par le back office avec la banque concernée. L’opération doit ensuite être saisie dans le logiciel de trésorerie afin de pouvoir apparaître dans les échéanciers futurs qui servent à gérer les positions nettes de couvertures et la gestion des encaissements et décaissements quotidiens en devise pour le trésorier.

Un tableau de bord doit aussi être accessible donnant l’exposition brute annuelle, le % couvert et le taux moyen de couverture.

Suivi des facturations et mise à jour continue des expositions

La gestion des expositions et le suivi des flux en devises au niveau local et au niveau consolidé sont primordiaux afin de pouvoir gérer en dynamique ses risques et prendre de nouvelles couvertures quand l’évolution des expositions l’exige.

Pour ce suivi, une méthode courante est un reporting mensuel des flux de facturations réels en devise comparés à ce qui est budgété sur les entités concernées.

Il faut si possible éviter de se retrouver en position significative de sur-couverture (c’est à dire un montant couvert supérieur au flux réel) car cela nécessite à un moment donné de clôturer la couverture en fin d’année avec un risque de coût en fonction de l’évolution des devises.

Conseil et pilotage du risque

Comme vu précédemment, si la politique de couverture des risques de change est définie au niveau groupe, elle peut être mise en œuvre soit en central soit localement en filiale.

Dans tous les cas, l’équipe centrale où se trouvent l’expertise marché, la relation bancaire globale du groupe et les outils de suivi, devra jouer un rôle de conseil et d’accompagnement auprès des filiales.

Une bonne pratique, au-delà de couvrir efficacement les risques, est de chercher à progressivement réduire les expositions globales quand c’est possible, en modifiant les flux de facturation interco et/ou en négociant avec les fournisseurs et clients un changement de devise de facturation. C’est une façon de se couvrir naturellement et de transposer le risque à l’extérieur du groupe.

En parallèle, le risque de change bilantiel sur la partie transactionnelle pourra être surveillé en couvrant la duration des expositions des créances clients et dettes fournisseurs par devise (soit le risque automatique lié au délai de paiement/encaissement sur ces engagements qui a un impact négatif ou positif sur le résultat financier de l’entreprise).

Conclusion

La mise en place d’une politique de gestion du risque de change est centrale dans une société internationale avec des flux en devises. L’objectif étant de mesurer ses expositions et ses risques en devise à fréquence régulière et d’avoir un processus structuré de mise en place et de gestion des couvertures de change pour son groupe et ses filiales afin de sécuriser son activité et ses résultats.

Certaines fonctionnalités spécifiques des outils de trésorerie peuvent aider à mesurer le risque en consolidant, parfois en temps réel, les expositions via la récupération des données de facturation en devise, et à suivre l’exécution des stratégies de couverture tout en évaluant résultats et impacts dans les résultats financiers.

Afin de mettre en place une politique efficace de gestion du change, nous encourageons à raisonner en termes d’amélioration continue, cycle après cycle. Pour cela, le groupe aura intérêt à évaluer son niveau de maturité dans la maîtrise du risque de change et à définir, en lien avec les équipes de contrôle interne, un plan précis de transformation pour progresser dans l’échelle de maturité :

Benoît Chandelier, Janvier 2023